Compte à rebours.
Tout quitter pour un
point d’interrogation. On peut à tout moment désirer un changement radical dans
sa vie. Mais quand on se décide enfin, le doute et l’angoisse vous assaillent
et se mêlent à l’hyper excitation face à l’inconnu.
Sautes d’humeur et gros coups de blues sont le lots de tout futur exilé...
Sautes d’humeur et gros coups de blues sont le lots de tout futur exilé...
2 juillet : C’est
l’été et pourtant il fait froid
3
juillet 2002, 18h : S’enivrer de musique pour tenter d’exorciser ses doutes.
Sortir pour tenter de respirer.
4 juillet 2002, midi : Je n’ai pas faim mais je mange des Tic-Tac parce que j’ai la bouche amère.
5
juillet 2002 : J’ai démissionné de mon boulot et vidé mon bureau : trois
ans de travail représentés par une pile de dossiers.
6
juillet 2002 : Un samedi en guise de dimanche. Le temps est grisâtre. Dormir et
ne rien faire. Être fatigué par avance face au rangement.
15h30 : Je pense à Fernand qui vient de mourir, à 30 ans, d’un accident de voiture, la nuque brisée à six heures du matin en allant au boulot. J’ai horreur des gens qui se plaignent du dimanche.
21h : Dans le métro, les gens aboient, la rame passe.
Lundi 8 juillet 2002 : On fête les trente ans d'une amie. Son cadeau : nos cotisations réunies dans une tirelire afin de réaliser sa plus grande envie : partir. En attendant le voyage, un resto kurde, histoire de se dépayser.
00h30 : À chaque fin de soirée, je me demande à qui je dis au revoir pour la dernière fois.
Samedi 13 juillet 2002 : Les gens t’appellent pour te voir « une dernière fois » avant ton départ. Ils t’annoncent, visiblement désemparés, qu’ils ignorent comment ils vont faire quand tu seras parti. Tout cela semble si sincère que tu n’oses même pas leur préciser que le plus dur à vivre est peut-être pour celui qui part.
Chaque jour, on te demande quand tu pars. Certains te posent la question tous les matins par mail. La question est fatale à chaque conversation.
Dimanche 14 juillet 2002 : Garden party : un mélange de rosé frais et de champagne t’assomme sous les rayons de soleil. La tête lourde, je n’ai pas envie d’aller danser au fameux Bal des pompiers, mais je serais volontiers allée voir le feu d’artifice.
Une pensée pour un grand-père parti un 14 juillet. Des bruits de pétard fusent dans les rues. Dernière machine à laver.
Lundi 15 juillet 2002 : escapade à la campagne. S’exiler avant l’exil. Partir avant de partir. Fuir avant de déguerpir. La faune et la flore ne te poseront aucune question et ne te demanderont pas le jour de ton départ.
18h : S’endormir au soleil et se réveiller sous la bruine.
Mardi 16 juillet 2002 : Lire et s’assoupir, assommée par l’apéro, terrassée par le soleil, pétrifiée par l’angoisse, avachie par le sommeil.
Les souvenirs se mêlent aux rêves. Le bourdonnement d’un frelon t’arrache de tes songes. La lecture d’un roman vient répondre à certaines questions existentielles.
Mercredi 17 juillet 2002 : Ici, tu peux discuter avec les gens sans forcément parler du Canada. « Et qu’est-ce tu vas faire là-bas ? Ah bon, tu n’as même pas de boulot ? Et pour l’hiver, tu as pensé au froid ? Est-ce que c’est vrai que là-bas on peut vivre en sous-sol ? »… Bref, je peux enfin avoir une conversation normale.
Un sourire suffit pour répondre à un œil humide. Le regard d’une arrière grand-mère lit directement mon cœur.
1h du matin : Pourquoi avoir si peur de tout quitter alors que c’est ce qu’on a désiré ?
Jeudi 18
juillet 2002 : Pour les gens du coin, que je parte à Montréal ou à Paris, c’est
pareil.
Vendredi
19 juillet 2002, 13h : L’angoisse aujourd’hui n’est plus de se rapprocher de la date
fatidique. Non. L’angoisse, aujourd’hui, c’est de trouver des gens déjà partis.
Samedi 20 juillet 2002 : Crémaillère : alors que je pars, d’autres s’installent. Je leur offre mon moule à gâteaux.
Jeudi 25 juillet 2002 : Choper des cartons pour déménager.
Vendredi 26 juillet 2002 : Rencontrer des gens supers alors qu’on s’en va.
Samedi 27 juillet 2002 : Grande tablée au restaurant : promesse d’un jour de l’an collectif à Montréal. Personne ne viendra mais ce n'est pas grave.
Dimanche 28 juillet 2002 : Encore une journée à remplir des cartons, trier du linge, confier des affaires personnelles à droite, à gauche, aux uns et aux autres, pour qu’ils ne nous oublient pas.
Lundi 29 juillet 2002 : Grande loterie avec les amis et karaoké chinois avec tubes de circonstance : « On s’était donné rendez-vous dans dix ans » de Patrick Bruel…
Mardi 30 juillet 2002 : Un taxi escorté par des amis les yeux tout embués. Retard d’un avion de la compagnie Air-Transat : prévu à 12h25, le vol est reporté à 22 h. Arrivée à Montréal prévue à 1h du matin...
Mercredi 31 juillet 2002 : Dans le métro, des panneaux électroniques diffusent les informations, les prévisions météo, les dépêches, l’heure, la publicité, les programmes de télévision. Sur les ondes radiophoniques, Joe Dassin chante : « L’Amérique ! Je veux l’avoir et je l’aurai ! »…