Je suis parti de ma famille
il ne faut jamais revenir
quand le soleil jamais ne brille
quand le meilleur devient le pire
il ne faut jamais revenir
quand le soleil jamais ne brille
quand le meilleur devient le pire
Et
même si je pense à toi
à toutes les heures de la journée
et même si je pense à toi
jamais je ne reviendrai
« Je suis parti », La Vallée des réputations (2002)
à toutes les heures de la journée
et même si je pense à toi
jamais je ne reviendrai
« Je suis parti », La Vallée des réputations (2002)
Star pop rock au Québec, Jean Leloup a laissé en France le souvenir d’un tube impérissable : « En 1990… », écrit à propos de la guerre du Golfe. « Disque d’or », Jean Leloup traversait alors l’océan pour un concert à guichets fermés à la Cigale en avril 1992 et la tournée des festivals d’été dont les fameuses Francofolies de La Rochelle.
dirigés par ordinateurs
Sony Fuji et Macintosh
se culbutent dans les airs le rush
la guerre technologique fait rage
c’est un super méga carnage
attention voilà les avions qui tirent
c’est l’heure de l’émission
en 1990, c’est l’heure de la médiatisation
en 1990, c’est l’ère de la conscientisation
(…)
bientôt disponible bientôt
Koweït Irak en Nintendo
en 1990, c’est l’ère de la socialisation
en 1990, c’est la démocratisation
« 1990 », L’Amour est sans pitié (1990)
Koweït Irak en Nintendo
en 1990, c’est l’ère de la socialisation
en 1990, c’est la démocratisation
« 1990 », L’Amour est sans pitié (1990)
Certains se souviennent peut-être qu’il incarnait également le rôle de Ziggy dans la cuvée 1986 de Starmania. Adoptant un style musical rock bien à lui, loin de la sphère des comédies musicales de l’Empire Plamondon, il est reconnu aujourd’hui comme « l’un des artistes majeurs de la scène rock québécoise », « l’enfant terrible de la pop québécoise », « symbole de la rébellion », « rêveur fou et original », « un cas à part dans l’univers artistique du Québec », ou encore comme « l’électron chahuteur et iconoclaste de la scène musicale québécoise ». En 2000, il obtenait cinq Félix pour l’album Les Fourmis, dont l’« Album de l’année–Rock », l’« Auteur-compositeur de l’année » et le « Spectacle de l’année ».
Cet artiste québécois,
auteur-compositeur-interprète, ne pouvait décidément pas passer entre les
mailles de mon exode, surtout au vu des deux thèmes principaux qui nourrissent
son dernier album, La Vallée des réputations, à savoir : l’exil et
la découverte
de l’Amérique. Ainsi cette invitation tirée de l’introduction de
« Paradis perdu » prend tout son sens :
Viendras-tu avec nous,
viendras-tu avec nous, étranger
ou resteras-tu au sol, ou resteras-tu au sol, habitué
ou resteras-tu au sol, ou resteras-tu au sol, habitué
À la fois, invitation à l’exil, à la fois
allusion au Paradis via le rapport au « sol » qui s’oppose au
« ciel », mais également invitation dans l’univers poétique du
musicien qui, fatalement, nous délivre de notre rapport au poids (sous toutes
ses formes : de la gravité aux soucis les plus pesants) par une espèce de
douce lévitation qui nous procure une sensation tranquille et enivrante. Le
banjo et la guitare électrique se mariant divinement dans un duo fusionnel,
exemple savoureux d’un métissage heureux entre deux univers étrangers.
Au-delà
de la mer, il existe un pays qu’on dit impossible
comme le paradis de la Bible
au-delà de la mer il existe un pays presqu’aussi beau que la folie
y vivent des peuples parfaitement sains, parfaitement accueillants
comme le paradis de la Bible
au-delà de la mer il existe un pays presqu’aussi beau que la folie
y vivent des peuples parfaitement sains, parfaitement accueillants
Par rapport aux précédents albums, la ligne est nettement épurée : pas de « tripotage » ni « bidouillage » en studio, moins de musiciens, des instruments acoustiques, une unité de ton (rien à voir avec l’éclatement des styles abordés dans Le Dôme). Une apparente simplicité, pour des tounes que l’on fredonne pour le plaisir de la mélodie, mais aussi pour l’amour de la poésie et l’idéologie des vers. Quasiment enregistrés live, « pour la beauté du geste », les 14 titres de ce nouveau disque incitent à l’évasion.
Le
style folk country de l’album sied parfaitement à l’univers d’errances,
de voyages, d’exils dont émanent les textes des chansons. On se voit facilement
marchant sur une route, conduisant une voiture ou rêvant dans un train, longeant
de vastes étendues de nature, des champs, des forêts, des petits villages, une
guitare sur l’épaule (comme sur la pochette du disque), l’autoradio allumé ou
un discman calé sur les oreilles :
Tant
qu’il y aura des étoiles sur le bord de la route,
nous pourrons nous arrêter,
tant qu’il y aura des rivières,
nous pourrons nous baigner…
« Balade à Toronto »
nous pourrons nous arrêter,
tant qu’il y aura des rivières,
nous pourrons nous baigner…
« Balade à Toronto »
C’est l’histoire d’un aller sans retour (« Il faudra couler les navires et ne plus revenir ») comme dans « Je suis parti » ou « Paradis perdu », durant lequel l’exilé surmonte une série d’épreuves. Cependant, la découverte d’un nouveau monde permet au nouvel arrivant de profiter davantage du moindre instant. On ne vit qu’une foué. Ainsi, au pays de « La vallée des réputations » : Les amoureux qui sont en prison n’ont pas le temps d’être tatillons. Bien au-delà du milieu carcéral, cette phrase s’étend à tous les amoureux qui, d’une manière ou d’une autre, vivent une relation prisonnière d’un poids, qu’il soit familial, culturel ou illégitime.
La poésie de Jean Leloup s’inscrit en relief, jouant avec les mots d’une manière ludique « dans la cour il y a les avocats / les boudins et les anchois » (« Vieille France »), et maniant les histoires d’amour avec humour et (auto ?)dérision : Ma copine elle est certaine / que je ne suis pas pour elle / ah mon dieu qu’elle est cruelle / après avoir des semaines / partagé le grand amour / elle me met en quarantaine (…) et pointant ce gros bouton / en plein milieu de son front / elle me crie « vois ta sottise ! vois comme je somatise ! » (« La muse et le museau »). L’amant gaffeur, mais transi et pétri d’amour, revient à la charge, la tête basse, la queue entre les jambes : Si tu veux de temps en temps / viens me voir dans la forêt / et si ma chanson t’offusque / tu me pardonneras ne fut-ce que / par amour pour les Indiens / par pitié pour les vauriens…
Malgré l’humour, un pessimisme ambiant plane à travers les textes de Jean Leloup, une espèce de constat désabusé face au cours de la vie, comme si nous incarnions les éternels chanteurs d’une même rengaine dont l’histoire se répéterait désespérément en boucle : On a beau dire / on a beau faire / la vie suit son cours / au gré des amours / je t’aime et te quitte / nous sommes quittes / tu pars pour de bon / et de toutes façons / promeneur / la chanson que tu chantes / je l’ai souvent chantée / et la corde dont tu veux te pendre / je l’ai souvent nouée / et le clou / où tu veux te suspendre / je l’ai souvent cloué / tu m’as recueilli / tu m’as trahi. (« Promeneur »)
Autre forme d’exil, autre aller simple : les chansons sont minées par la figure de la mort. Elle hante en effet « Raton laveur » (Raton laveur sur le bord de la route / n’est jamais seul à mourir / toujours à deux, jamais loin l’un de l’autre / on les aperçoit gisant / qui sera donc, à la fin de ma vie / mon amie de toujours / qui sera donc, à la fin de mes jours / mon amie d’écrasement), « Les Remords du commandant », mais aussi « Promeneur » (à présent / il se cache et il pleure / le canon d’un fusil / pointé sur son cœur / (…) et puis / il tire / il vise bien), « Paradis perdu », voire même « Je suis parti » (et, sous cet angle, le « Jamais je ne reviendrai » sonne autrement).
Depuis des jours ou des
semaines, les corbeaux qui ont nettoyé
les os de mon squelette usé
n’ont pas senti de différence avec le corps d’un citoyen de meilleur nom ou renommée
Le saint, le fou, le criminel sont tous égaux l’homme est mortel
Honni soit qui mal y pense
Honni soit qui manigance
« Vieille France »
les os de mon squelette usé
n’ont pas senti de différence avec le corps d’un citoyen de meilleur nom ou renommée
Le saint, le fou, le criminel sont tous égaux l’homme est mortel
Honni soit qui mal y pense
Honni soit qui manigance
« Vieille France »
« Vieille France » revisite à ce
titre les thèmes de la célèbre Ballade des pendus de François Villon, en
donnant la parole au comdamné, version John The Wolf :
et le pendu réfléchissait à qui mieux mieux sur les stigmates du
destin
qui tous nous emportent la destinée frappe à ta porte et tu lui ouvres naïf serein
(…) et tout à coup le pendu mourut
c’était un mort impressionnant
sur cette plage en sable blanc
un crabe passe et rentre dans le crâne du mort sans testament
je me ferais bien un pétard avant d’aller au firmament
malheureusement il est trop tard
il est trop tard
« Vieille France »
qui tous nous emportent la destinée frappe à ta porte et tu lui ouvres naïf serein
(…) et tout à coup le pendu mourut
c’était un mort impressionnant
sur cette plage en sable blanc
un crabe passe et rentre dans le crâne du mort sans testament
je me ferais bien un pétard avant d’aller au firmament
malheureusement il est trop tard
il est trop tard
« Vieille France »
L’engagement musical de Jean Leloup (la « vraie » musique, avec des tounes « authentiques » jouées par des musiciens « vivants ») rejoint sa philosophie de vie et sa vision du monde : assumer ses choix, vivre libre, accepter l’imperfection, ne pas se dissimuler derrière les faux-semblants et les idées reçues par peur d’être différent. Cette idée revient tout au long de l’album sous la crainte imminente du regret (notamment à travers « Les Remords du commandant ») : car à la fin du voyage, tout ce qui compte, c’est la fierté d’avoir aimé correctement (« Balade à Toronto »).
le
temps passe et un jour on est vieux et puis seul
et rien ne reste plus que la fierté d’avoir aimé correctement
ou la honte et les tourments de ne pas avoir compris à temps
attends j’ai quelque chose à te dire…
« Balade à Toronto »
et rien ne reste plus que la fierté d’avoir aimé correctement
ou la honte et les tourments de ne pas avoir compris à temps
attends j’ai quelque chose à te dire…
« Balade à Toronto »
En guise d’ultime espoir ou d’ultime confidence, Jean Leloup clôt son disque sur la reprise de « Petite fleur » composée par Sidney Bechet (et chantée plus tard par Henri Salvador) :
Quand la vie
Par moments me trahit
Tu restes mon bonheur
Petite fleur
(…) Dans mon cœur
Tu fleuriras toujours
Par moments me trahit
Tu restes mon bonheur
Petite fleur
(…) Dans mon cœur
Tu fleuriras toujours
Site officiel : http://roiponpon.ca