Telle une Québécoise, j’ai passé
Noël « dans le sud », loin de « la maudite mârde blanche », sous le soleil de Cuba. J’ai ainsi troqué
mes bottes pour mes gougounes (tongues en bon Québécois) et j’ai quitté les
trente centimètres de neige montréalais pour les vingt kilomètres de sable
blanc de Varadero. Rien de mieux pour envoyer des cartes de vœux originales
représentant des cocotiers plutôt que des sapins enneigés…
¡ Feliz Navidad !
Après un vol retardé par le dégel des
ailes de l’appareil, mon avion atterrit à Cuba et je retire mon manteau
d’hiver. Il fait beau et l’aéroport est entouré de palmiers. Une odeur de
cigare plane et Cuba vibre sous les rythmes latinos au son des percussions,
maracas, guitare, trompette, voix et violoncelle. Cha cha, rhumba, merengue et salsa
enveloppent délicieusement l’atmosphère et enivrent autant que les effluves du
rhum : « Guantanamera », « Che Guevara »,
« Quisas quisas »…
Destination favorite des Canadiens, Varadero est une ville
exclusivement touristique. Dans ce pays sans Coca-Cola ni MacDo, les touristes sont marqués
comme du bétail par un bracelet qui leur garantit un laisser-passer à tous les
restaurants de leur hôtel grâce à la fameuse formule « all
inclusive ». Bordée de grands complexes hôteliers, la côte offre ainsi un
confort continental qui tranche terriblement avec la pauvreté du reste de
l’île. Les buffets regorgent de nourriture et tout est consommé « à
volonté », alors que les Cubains manquent de tout. Golf, marinas, night
clubs, piscines, courts de tennis : tout est prévu afin de ne pas trop
dépayser l’Occidental en vacances.
La côte est magnifique : mer turquoise, sable blanc,
cocotiers le long des plages. Le paysage est paradisiaque. Le soleil brille et
l’eau est chaude. Au large, une barrière de corail régale les plongeurs.
Cependant à Noël, même s’il fait chaud et que l’eau est tiède, la côte nord est
sujette à de nombreux passages nuageux. L’idéal, l’hiver, est donc de réaliser
plutôt un parcours à travers l’île. De nombreux voyageurs optent pour ce
plan : ils louent une auto et roulent de ville en ville. Certaines agences
proposent d’ailleurs des formules de circuits où les hôtels sont réservés à
l’avance.
Malheureusement, à Varadero, les Cubains rencontrés se limitent
aux employés des hôtels. Pour chacun d’eux, un sourire jovial illumine aussitôt
leur visage lorsque nous leur lançons un « ¡Ola! » chaleureux. Même
si on est nul en espagnol, nous devons compter parmi les rares qui font un
effort pour parler leur langue. Les Cubains ont alors les yeux qui brillent et
on se sent en contact, même juste pour un instant. Coincé entre la dictature de
Castro et l’embargo américain, le peuple cubain s’avère extrêmement pauvre.
N’oubliez pas de glisser dans vos bagages des savons, des bonbons et toutes
sortes de petits cadeaux qui feront le bonheur des femmes et des enfants
cubains.
¡ Hasta la vista !
Les hôtels proposent une quantité d’excursions à travers le pays
surnommés « Rambo Tour », « Jungle Tour » et autres
« Aquaworld ». En hélicoptère, en parachute ascensionnel, en
catamaran ou encore dans un truck russe tout terrain, vous sillonnerez les
routes cubaines à la vitesse grand V, vous arrêtant dans les villes une
vingtaine de minutes avant de repartir à l’aventure. Bref, frustrant, folklo,
gogo et surtout très loin de la réalité cubaine et de ses chaleureux habitants.
Mieux vaut donc visiter par soi-même et louer une voiture pour circuler car les
bus sont rares. Les véhicules en location sont récents et en bon état
(contrairement aux autos privées). De plus, aucun problème pour stationner. Le
seul souci demeure le manque d’indications sur les routes. Cependant, les
Cubains se font un plaisir de vous indiquer le chemin lorsque vous le leur demandez.
D’ailleurs, ne pas hésiter à les prendre en stop : à la sortie des villes,
nombreux sont en effet les Cubains qui attendent l’arrêt d’une voiture afin de
les rapprocher de chez eux. Ils vous indiqueront le chemin à suivre avec
plaisir.
Cuba présente un véritable musée roulant à cause de ses vieilles
voitures américaines bicolores et chromées qui cohabitent avec quelques Lada
dégarnies. La couleur des plaques permet d’identifier les conducteurs :
plaques jaunes pour les véhicules privés (généralement de vieilles carcasses
bricolées rescapées des années cinquante), plaques bleues pour les véhicules
d’état (généralement les mini-bus touristiques et autres taxis officiels),
plaques rouges pour les véhicules loués (des modèles Audi, Peugeot et Ford
récents et modernes). Sur les routes comme sur l’autoroute circulent de
nombreuses bicyclettes et charrettes (économie d’essence oblige). Des Cubains à
pied vendent des bananes ou des cigares le long des voies rapides.
Cardenas, Matanzas, Cienfuegos, Trinidad, La Havane… Les villes
cubaines regorgent d’histoire. La diversité de leur architecture témoignent des
différentes époques qu’elles ont traversées depuis les conquistadores espagnols
jusqu’à l’ère communiste en passant par le bordel de l’Amérique du temps du
protectorat des États-Unis. Ainsi, de vieilles cathédrales aux tours
asymétriques côtoient de magnifiques villas coloniales avec arcades, mosaïques,
patios et boiseries qui s’imposent malgré l’usure et la poussière qui les
recouvre. D’autres maisons, toutes en bois, rappellent les constructions
antillaises.
À La Havane, les buildings du centre-ville, les anciens casinos,
bars et boîtes de nuit rappellent le passage des Américains. Enfin, les
immeubles en béton armé où s’empilent les familles de travailleurs reproduisent
fidèlement le modèle soviétique. Sans compter les cabanes bricolées avec de la
tôle et des récupérations de morceaux de bois, style bidonville ou favelas. Les
époques et les styles se mélangent allègrement dans un délabrement généralisé.
Digne du climat tropical, la végétation est luxuriante. Les
routes traversent des champs de canne à sucre, des plantations de bananiers,
d’agrumes et de mangues. Dans la montagne, la forêt vierge grouille de bambous,
de palmiers et d’eucalyptus, à travers des champs de tabac, des orchidées, des
tulipes d’Afrique et des cactus.
Cuba est un pays magnifique et incroyable qui conserve une
étonnante douceur de vivre malgré ses cicatrices. Sa population fait preuve
d’une extrême générosité malgré sa misère. Et partout l’empreinte du Che
s’inscrit, pas seulement dans le culte du passé, mais également en signe
d’espoir : à quand la prochaine révolution ?
¡ Hasta la victoria siempre !
Le jour de noël, je suis allée me recueillir dans la ville
désormais dédiée à Che Guevara. À Santa Clara, les monuments sont en effet
consacrés au guerillo héroïque et à ses valeureux companeros en mémoire de la
bataille historique remportée en 1958 par la Révolution. À la lueur de la
flamme du souvenir, un mausolée abrite les restes du Che et de ses compagnons
de lutte. À côté, un musée rassemble quelques objets du Comandanto et de ses
acolytes : timbales en fer, gourdes, uniformes, casquettes, bérets,
médailles, diplômes, lettres, armes, ainsi que de nombreuses photographies et
citations. Tout aspire au culte.
Dans les villages, rien ne fait penser à noël : pas de décoration
et des rythmes salsas partout. Nous trinquons autour d’une bière au son de
« Feliz Navidad » version reggae. Un moment inoubliable, perdu au
milieu de nulle part, parmi des gens qui ont terminé de travailler et qui
attendent une charrette ou un bus archi bondé sur le bord de la route. Un Noël
loin de tout dans une ambiance hors du temps.