mercredi 4 juin 2003

La Binerie du Mont-Royal

« Icite, c’est pas pour le décor qu’on vient, c’est pour manger ! »
La Binerie est un minuscule établissement coincé entre deux immeubles qui ne lui ont laissé qu’une quinzaine de pieds de façade, le forçant de s’allonger comme un wagon-restaurant. À l’intérieur, un comptoir bordé de tabourets fait presque toute la longueur du local. Au fond, (…) on a réussi à caser deux tables avec banquettes. Derrière, se trouve une petite pièce fermée où se démène le cuisinier. On a installé les toilettes au sous-sol. Il faut passer derrière le comptoir pour s’y rendre et emprunter un petit escalier en casse-cou (…). Chaque pouce cube a été judicieusement employé, après de longues réflexions. Ainsi, l’espace d’un placard à balai fut remplacé au profit d’une table chauffante à température réglable qui permet à certains plats, comme la tourtière ou le bouilli, de conserver leur fraîcheur et leur température après avoir quitté le feu.

Cuisine maison et ambiance familiale
« Icite, tout est cuisiné sur place et les patates sont épluchées à la main ! »
Depuis 1938, on peut manger accoudé sur le zinc aux côtés des joueurs de hockey nationaux qui venaient chaque semaine y avaler leur plat de « bines » (des fèves au lard), ou encore des célébrités tels que Serge Lama (« Il vient à chacune de ses tournées ! »), Didier Barbelivien, Maurice Richard (une légende du hockey canadien) et bien d’autres ; les photos épinglées sur les murs en témoignent. « Gilles Vigneault est v’nu y’a deux s’maines ! » La croix du Christ est suspendue au-dessus de l’entrée de la cuisine. La Binerie est une entreprise familiale où les patrons se succèdent de père en fils, d’oncle à neveu, de beau-père à gendre, de cousin éloigné à beau-frère.

Tout le long du comptoir, on ne voyait que des têtes penchées, des fourchettes en mouvements, des bouches en train de mastiquer, des tasses obliques en train de se vider. Les clients parlaient peu, (…) la bonne chère les absorbait. Près de la caisse, un vieux chauffeur de taxi, sa casquette rejetée en arrière, venait d’attaquer une assiette de bœuf aux légumes pleine de gros morceaux de viande juteux tout en discutant avec Gisèle des avantages respectifs de la vie de célibataire et d’homme marié.

- « Sur quoi qu’t’écris, Yves ? » 
- « Sur la maisonnée ! »
L’écrivain Yves Beauchemin, habitué du lieu, a fini par s’inspirer du va-et-vient incessant du restaurant pour y consacrer un roman paru en 1981, intitulé Le Matou, devenu depuis un classique de la littérature québécoise (Prix de la ville de Montréal, Prix littéraire du Journal de Montréal en 1981, Prix du livre d’été à Cannes en 1982, Prix du public au Salon du livre de Montréal en 1985 et Prix littéraire des lycéens d’Île-de-France en 1992). Vendu à plus d’un million d’exemplaires et traduit en dix-sept langues, le roman popularise la Binerie dans le monde entier ! Ces 583 pages ont même été adaptées au cinéma pour un film tourné sur place : « 100 % filmé icite ! » Réalisé en 1985 par Jean Beaudin, ce long-métrage obtient le Prix du Festival International du Film à Québec et le Prix du jury du Festival des films du monde de Montréal. En 1987, l’histoire devient même l’objet d’une série télévisée.

« 109 sites répertoriés sur Internet ! »
… Et pourtant on ne peut y accommoder que dix-sept clients à la fois, mais ces derniers se succèdent à une belle cadence, car l’endroit est renommé pour sa bonne grosse nourriture paysanne. […] La force du restaurant réside dans la qualité de sa nourriture, la rapidité du service et la modicité relative des prix, rendue possible par l’économie d’entretien d’un local tellement exigu.
Alors, vu le succès, pourquoi la Binerie ne s’est-elle pas agrandie ?
Voilà bien une manie américaine de vouloir transformer les bons restaurants en usine ! Comment voulez-vous contrôler la qualité de la nourriture quand vous avez à peine le temps de soulever le couvercle de tous vos chaudrons ? Le chef choisit en effet lui-même tous ses légumes. N’y cherchez ni frites, ni poutines, ni burgers, « icite, tout est 100 % québécois » : soupe aux pois, ragoût de boulettes, pâté chinois (patates pilées, viande hachée et grains de maïs), tourtières, lard salé, cretons, T-bone, fèves au lard…

« Les fèves, c’est bon pour la santé »
50 % des clients de la Binerie viennent pour les fèves. Ce tout petit restaurant est devenu une véritable institution en matière de fèves au lard. Pour les novices et les affamés, « l’assiette maison » se compose d’une part de tourtière accompagné de ragoût et également de fèves au lard. Et en dessert : une tarte au sucre chaude avec une boule de crème glacée ou du pouding chômeur arrosé de sirop d’érable, le tout avec un café ou un thé. Aucun hamburger, ni fritures, juste des sandwiches 100 % terroir québécois : creton, fromage grillé, lard salé, rôti de porc frais… Les plats de la Binerie incluent une soupe, un breuvage et un dessert. Et puis, à la Binerie, on peut même emporter : manger chez soi une part de tourtière, déguster une tarte au sucre maison sur son canapé, savourer une portion de bines devant un match de hockey à la télé… S’offrir un morceau de Binerie pour la maison…

La Binerie du Mont-Royal à Montréal
 367, Mont-Royal Est, coin Saint-Denis - Métro Mont-Royal (514) 285-9078

Citations entre guillemets de Bernard Deschamps, gérant de la Binerie.
Citations en italiques tirées du livre d’Yves Beauchemin : Le Matou (Québec/Amérique, 1981).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire